- BENJAMIN DE TUDÈLE
- BENJAMIN DE TUDÈLELe Juif navarrais Benjamin de Tudèle est sans doute le premier voyageur européen du Moyen Âge qui ait connu la Chine. Écrit en hébreu, son itinéraire fournit un guide touristique et une description économique, ethnique, politique du monde médiéval chrétien, romain et byzantin, juif et arabe vers 1170.Le «Livre des voyages»On ne sait rien de la vie de Rabbi Benjamin bar Jonas de Tudèle, voyageur juif renommé du XIIe siècle, sinon qu’il était originaire de Tudèle, cité de la Navarre espagnole. Sa prédilection pour les faits économiques a fait supposer qu’il était négociant en pierres précieuses, mais l’importance qu’il attache à sa visite des lieux saints juifs de Jérusalem et d’Hébron pourrait faire considérer son voyage comme un pèlerinage. On a pu supposer que les communautés juives d’Occident l’avaient chargé d’une mission de reconnaissance en Orient en vue d’une migration éventuelle vers une contrée où les Juifs vivent en liberté sur un territoire leur appartenant. Parti de l’Espagne du Nord, Benjamin de Tudèle visite le Bas-Languedoc, l’Italie, Constantinople, l’Archipel, Rhodes, Chypre, Antioche, la Terre sainte, Damas, Bagdad et la Perse. Sur le chemin du retour, il traverse Aden, Assouan, Le Caire, Alexandrie, la Sicile, Rome.Rédigée d’après son journal sous le titre Séfer ha massa‘ot (Le Livre des voyages ), sa relation a été traduite en plusieurs langues et à plusieurs reprises d’après l’édition princeps (Constantinople, 1543). Le plus ancien manuscrit remonte au XIIIe siècle (Ms. British 27089); l’édition critique la plus récente a été procurée par Marcus Nathan Adler.Un tableau des communautés juives au XIIe siècleL’intérêt de Benjamin de Tudèle va surtout aux communautés juives qui jalonnent son itinéraire. Il s’enquiert du nombre des familles, des professions pratiquées par les Juifs, de leur statut, de leurs maîtres spirituels. Le Livre des voyages brosse un tableau coloré de la diaspora médiévale. En additionnant les effectifs des communautés juives visitées, on obtient environ six cent mille familles, soit une population totale de l’ordre de deux millions et demi d’âmes. Les occupations des Juifs sont variées: certains possèdent des terres (dans le midi de la France ainsi qu’au pied du mont Parnasse); en Grèce et en Terre sainte, ils détiennent un quasi-monopole de la teinturerie; à Antioche et à Tyr, ils sont fondeurs de verre. Les Juifs de Perse ont encore leur vice-roi de souche davidique, l’Exilarque. La relation par Benjamin de Tudèle de l’aventure messianique de David Alroï, «l’Invisible», est restée longtemps notre seule source sur le mouvement. Dans le royaume franc de Jérusalem, des communautés réapparaissent, deux générations après l’extermination des Juifs lors de la première croisade. Le voyageur nous présente la secte karaïte à Constantinople, Ascalon et Damas. La relation se termine sur un éloge ému de la communauté de Paris, fameuse par ses savants et par son hospitalité.Un siècle avant Marco PoloLe Livre des voyages est une description vivante du monde à la fin du XIIe siècle. Économique, elle souligne l’activité portuaire et commerciale de Barcelone, Montpellier, Constantinople, signale un gisement pétrolifère près de Sorrente (où l’on fabrique des remèdes à base de pétrole). Ethnique, elle révèle les Druzes des montagnes de Syrie et de Terre sainte, la fameuse secte des «Assassins» et les Valaques de Roumanie (dont c’est la première mention littéraire). Le Livre des voyages est le premier écrit de l’Europe médiévale à mentionner la Chine. Ses descriptions d’églises romaines ou byzantines sont d’un grand prix pour l’histoire de l’art, particulièrement celle de Sainte-Sophie, que devaient piller les troupes de la quatrième croisade. Sur le plan historique, Benjamin souligne le faste de Byzance, mais constate les progrès réalisés par les Turcs.La durée exacte du voyage de Benjamin de Tudèle reste controversée. I. González Llubera intitule sa traduction espagnole Viajes de Benjamín de Tudela, 1160-1173 . Seule la date de 1173 est à retenir, parce qu’elle est indiquée dans le prologue; la date du départ est déduite de détails donnés par le livre. S. W. Baron remarque qu’ayant visité Rome sous le pontificat d’Alexandre III, qu’il nomme, Benjamin a dû quitter Tudèle entre 1165 et 1167. Les notations statistiques du voyageur doivent être, elles aussi, interprétées: les transcriptions chiffrées (parfois des lettres hébraïques prêtant à confusion comme le = 4 et le = 200) sont souvent fautives. Les localités de l’Empire byzantin se laissent mal identifier. Enfin le texte actuel paraît tronqué, les notes du voyageur ayant été compilées et abrégées par le scribe auteur du prologue. En dépit des problèmes qu’il pose, Benjamin de Tudèle fournit un tableau irremplaçable du monde, un siècle avant Marco Polo.
Encyclopédie Universelle. 2012.